Le paradoxe de la vidéo à la demande

Jamais n'avons-nous eu accès à autant de films et de séries, à une telle diversité de genres, formats et origines, le tout à portée de clic depuis le canapé, le lit, le train, le métro… Et pourtant, nombreux sont les utilisateurs de Netflix, Prime Video, Disney+ et autres qui parcourent la page d'accueil sans trouver ce qu'ils cherchent. Willy Staley, dans un article paru récemment dans le New York Times, remarque à propos de Netflix : « Your view into the catalog may feel like a grand vista, but in actuality you are peering through a keyhole ». Il faut entendre par là que les vignettes qui apparaissent sur la page d'accueil ne représentent en réalité qu'une infime partie du catalogue auquel l'utilisateur a accès. Cela est vrai pour tous les services majeurs de vidéo à la demande, et est la conséquence inévitable d'un modèle où l'utilisateur est libre, en théorie, de faire un choix parmi plusieurs milliers d'options. Or, toutes ces options ne peuvent être présentées à l'écran en même temps. Non seulement ce n'est pas faisable techniquement mais ce n'est pas non plus souhaitable si l'on veut éviter ce qu'Alvin Toffler a nommé en 1970 « choice overload », une situation où le consommateur se retrouve paralysé par un choix entre un éventail trop large d'options.

Contraints de filtrer leur catalogue et donc d'accorder à certains titres une meilleure visibilité qu'à d'autres, les services de streaming ont tous adopté une architecture de choix similaire, devenue familière à nous tous : des vignettes rectangulaires réparties en rangées thématiques qu'il est possible de faire défiler à l'horizontale. Les vignettes en haut à gauche de la page, c'est-à-dire aux premières positions sur les premières rangées, sont celles que l'utilisateur verra en premier. En quelque sorte, ces vignettes correspondent au « prime-time » à la télévision transposé à l'univers à-la-demande, qu'on pourrait appeler ici « prime-space ». La seule réelle différence en matière d'interface entre les différents services réside dans la taille de la page d'accueil. Là où Disney+ affiche entre 600 et 800 vignettes sur sa page d'accueil, Netflix en propose entre 1 400 et 1 500. Prime Video, de par sa position d'agrégateur d'offres et son modèle hybride entre abonnement et transactionnel, présente une page d'accueil bien plus vaste, pouvant aller jusqu'à plus de 30 000 vignettes.

Un nouvel outil analytique : la découvrabilité

La composition du catalogue ne suffit donc plus, seule, à caractériser l'offre d'un service de vidéo à la demande. C'est pourquoi les analystes du secteur prêtent de moins en moins attention au catalogue dans son ensemble, et se concentrent désormais plutôt sur ce qui est réellement présenté aux utilisateurs. Pour cela, ils font appel à la notion de découvrabilité, c'est-à-dire la capacité d'un contenu ou d'une catégorie de contenus à être découvert sur l'interface. La présence d'un titre sur la page d'accueil et de surcroît sur les premières rangées favoriseront automatiquement sa découvrabilité. Il est par ailleurs courant qu'un même titre soit présent à différents endroits de la page, dans plusieurs vignettes. Ainsi, plus un titre est répété sur la même page d'accueil, plus il est découvrable.

Arvester est la première société à mesurer la découvrabilité sur les interfaces des services de vidéo à la demande. Nous disposons de données inédites que nous avons décidé de publier ici sous la forme d'un tableau de bord interactif, que vous trouverez plus bas sur cette page. Les données correspondent à la période du 1^er janvier au 1^er novembre 2024. Les pages d'accueil de Netflix, Prime Video et Disney+ ont été récoltées chaque lundi via un navigateur web et sur des profils nouvellement créés, c'est-à-dire sans personnalisation algorithmique.

Nous avons sélectionné ci-dessous quelques exemples qui illustrent les différentes facettes de la découvrabilité sur les grands services de streaming.

Les plus découvrables

Commençons par les titres à forte découvrabilité. Certains sont attendus, comme les productions « originales » qui ont bénéficié de campagnes de publicité et d'une large couverture médiatique, d'autres le sont moins. Sur Netflix, on trouve parmi les plus découvrables Mercredi, Cobra Kai, Stranger Things, One Piece, mais aussi Ginny & Georgia et The Rookie : Le flic de Los Angeles, des séries qui font peu parler d'elles dans les médias. Sur Prime Video, des films comme Hunger Games : La Révolte Partie 1 ou The Dark Knight : Le chevalier noir rivalisent en matière de découvrabilité avec des productions maison comme LOL: Qui rit, sort !, The Boys et The Expanse. Chez Disney+, peu de surprises dans les titres les plus découvrables, qui sont essentiellement des classiques ou des séries à succès (Les Simpson, Grey's Anatomy, The Bear, How I Met Your Mother). Notons tout de même les belles places des séries françaises HPI (16^ème titre le plus découvrable) et Tout va bien (29^ème place).

Les moins découvrables

D'autres se font remarquer par leur absence, comme la série Drôle qui n'est pas apparue une seule fois sur la page d'accueil de Netflix. Dix Pour Cent, autre projet signé Fanny Herrero, a pourtant bénéficié sur la même période d'une belle mise en avant. Certains titres sortis récemment et qui ont pourtant connu un succès critique sont également absents ou presque de la page d'accueil Netflix. Citons The Power of the Dog de Jane Campion (aucune apparition), Ripley de Steven Zaillian (8 apparitions) ou encore La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar et trois autres contes de Wes Anderson (2 apparitions). Ces exemples montrent que les places sont chères sur la page d'accueil et qu'un succès critique ou de prestige ne garantit en aucun cas qu'un titre sera découvrable. Prime Video pratique un filtrage moins sévère, même si le simple fait d'être présent sur la page d'accueil ne signifie pas forcément être découvrable, celle-ci étant bien plus grande que les pages d'accueil de Netflix et Disney+. Malgré tout, certains « flops » (difficile à dire en l'absence de chiffres de visionnage) comme les séries Expats ou Mixte, la première série originale de Prime Video en France, sont régulièrement apparus sur les premières rangées pendant la période observée.

Quand l'actualité influe sur la découvrabilité

La découvrabilité d'un titre peut changer en fonction de l'actualité, comme à l'approche d'une nouvelle saison (Emily in Paris), ou lorsqu'une annonce est faite (Arcane). Parfois, une actualité concernant une œuvre aura des répercussions sur la découvrabilité d'autres œuvres (Le Seigneur des Anneaux, Fargo). Il arrive aussi qu'un évènement IRL (in real life) ait un impact sur la découvrabilité d'un titre en vidéo à la demande (Taylor Swift | The Eras Tour).

De la salle à la page d'accueil

Certains films connaissent une deuxième vie en vidéo à la demande après être sortis en salles. C'est le cas par exemple du film de 2018 Les municipaux, ces héros, qui avait fait presque 600 000 entrées en salles et est, sur la période étudiée, le 9^ème titre le plus découvrable sur Prime Video.

Conclusion

On l'a vu, l'analyse de la découvrabilité révèle des inégalités dans la mise en avant des œuvres sur les services de vidéo à la demande. Or, ces différences de traitement peuvent avoir des conséquences non seulement sur la vie des œuvres mais aussi, en prenant du recul, sur la diversité culturelle présentée aux utilisateurs. C'est pourquoi la découvrabilité est aujourd'hui un aspect important des politiques menées par la Commission européenne et le Ministère de la Culture.

Arvester est la seule société à proposer un outil d'analyse de la découvrabilité sur la vidéo à la demande. Découvrez notre tableau de bord ci-dessous ↓